L’organisation mondiale des frères musulmans aurait déclaré la guerre à K.Saied
Alors que l’élite politique tunisienne se noyait dans le marais de confusion et d’hystérie qu’elle avait crée elle-même, elle gardait son œil sur le palais de Carthage, chaque parti espérant que le président Kais Saied choisirait son homme pour former le prochain gouvernement.
Avec un coup de maître, le président de la république a décidé de désigner le ministre de l’Intérieur sous le gouvernement sortant d’Elyes Fakhfakh, Hichem Méchichi, pour former le nouveau gouvernement, dans un délai maximal de 30 jours conformément aux dispositions de l’article 89 de la Constitution.
Ce choix d’un « outsider », un homme hors du système des partis politiques, fait en dehors des propositions des blocs parlementaires, réaffirme le mécontentement du président par l’anarchie qui paralyse le parlement, un des piliers de l’Etat, et son engagement, qu’il avoue lui-même , à désigner un chef de gouvernement qui soit « habile, convaincant, connaisseur et surtout moins engagé dans l’appartenance et l’attachement à l’un des partis les plus influents de la scène politique ».
Si le chef du gouvernement démissionnaire Ilyes Fakhfakh a accusé implicitement le mouvement Ennahdha d’avoir œuvré à la chute de son gouvernement, c’est parce qu’il estimait que le mouvement islamiste s’apprêtait à récolter les fruits d’un vide à La Kasbah, le pilier du pouvoir exécutif en Tunisie- une aspiration déjouée par la démission inattendue de Fakhfakh, permettant au président de la république de désigner un nouveau chef de gouvernement en dehors des propositions des partis politiques.
Et si les réactions des partis politiques tunisiens sont partagées entre la satisfaction de quelques mouvements tel que Achaab dont le secrétaire général Zouheir Maghzaoui qualifie M. Méchichi d’un homme ayant toutes les qualités demandées par son mouvement, l’appel à l’unité nationale lancé par Qalb Tounes, et la désillusion de quelques dirigeants d’Ennahdha, qui verraient dans ce choix un autre échec dans leur conquête du pouvoir, les réactions venues de l’étranger semblent être moins réservées.
Le choix de Méchichi ne semble pas plaire aux journalistes de la Chaine Al-Jazeera. Les deux présentateurs d’Al Jazeera Faycal Kasem et Ahmed Mansour n’ont pas manqué l’occasion pour s’exprimer sur Twitter contre la décision de Saied, s’alignant, ainsi, avec les islamistes. Pour eux, le président tunisien est décevant ; il ne sait rien « sauf parler l’arabe littéraire ».
Là, il est légitime de s’interroger sur les dessous de ces propos loin d’être spontanés dans un moment aussi critique surtout étant donné que Saied s’annonce un « outsider » lui-même, insoumis à l’élite politique et que les deux détracteurs du président tunisien sont deux figures incontournables d’Al-Jazeera.
Connue dans le monde arabe par son soutien inconditionnel au mouvement des frères musulmans, la chaine qatarie Al-Jazeera est le bras médiatique de l’organisation mondiale des frères musulmans. En raison de ce rôle idéologique et propagandiste joué par Aljazeera, la chaîne est accusée par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, et l’Egypte de servir une propagande terroriste.
Sur cette chaîne, le monde arabe est divisé entre les forces du mal dans le monde arabo-musulman, d’une part, incarnées par les mouvements progressistes, les mouvements laïques, les armées arabes, et les monarchies du Golfe arabes ayant imposé au Qatar un blocus économique ; et d’autre part les forces du bien incarnées par les frères musulmans, l’opposition syrienne, le front armé du mouvement international des frères musulmans, le président turc Recep Tayip Erdogan, et le prince Tamim Ben Hamad.
Cette représentation de la scène géopolitique arabe traduit une volonté turco-qatarie d’avancer la cause de l’Islam politique, une volonté qui semble être déçue par l’attachement de la Tunisie à la politique de la non-ingérence dans les affaires internes des autres pays- une politique exprimée par le refus de l’Etat nord-africain d’implanter des bases militaires turques au sud tunisien.
A la liste des déceptions fréro-musulmanes s’ajoute l’appel du président tunisien, lors de sa visite à Paris le 23 juin 2020, à une nouvelle légalité en Libye, qualifiant la légalité du gouvernent Sarraj, soutenu par le Qatar et la Turquie, de « limitée dans le temps ». Forcément, ces propos ont suscité une vague de condamnations en Libye et même en Tunisie.
Il y a encore de quoi nourrir le mécontentement du mouvement international des frères musulmans quant à la politique du président tunisien. Si la mise en doute de l’utilité des armées arabes est un des sujets préférés d’Al-Jazeera et des frères musulmans, le président tunisien n’a jamais manqué de rendre hommage à cette institution républicaine en rappelant qu’elle est un garant et un défenseur de la légitimité des autres institutions de l’Etat.
Mohsen Hrizi